La ville est inondée...
Sur des tréteaux vite posés
Des touristes passent et repassent
Toujours chargés, toujours pressés,
Et vont et viennent, la tête basse.
Ils n'ont plus qu'une seule idée
Ne pas se mouiller les pieds.
Mais que savent-ils du bonheur,
Ces sourds, ces myopes, ces bousculeurs ?
Moi je cherche autre chose ici.
C'est vrai, tu as peut-être vieilli
Mais j'attends tout de ta magie.
Maintenant la nuit est tombée...
Seule, sur la place, j'attends.
Je sais que tu as un secret,
Je fais le tour des bâtiments,
Je regarde tous tes palais,
Lequel va me parler le premier ?
Et soudain, là dans la nuit,
L'extraordinaire se produit :
La basilique prend son miroir
Et saute dans l'eau de la flaque noire.
"Je suis pourtant belle, me dit-elle,
Je ne me savais pas si dorée
Les ans ne m'ont même pas fanée.
Viens, puisqu'il en est ainsi,
Promenons-nous dans la nuit,
Cherchons de ton bonheur le secret.
Cherchons, cherchons, dans tous ces reflets,
Ces ponts illuminés
Et ces ruelles sombres,
Ces ponts non éclairés
Et cette place sans ombre.
Errons dans les dédales
De cette belle orientale.
Et si tu vois mal dans la nuit,
Si tu ne retrouves pas ton amour,
Alors j'appellerai ma magie
Pour toi, je recréerai le jour.
Regarde le soleil arriver
Sur la vigne vierge fanée.
Comme elle est belle encore.
N'oublie pas ce décor,
Rappelle-toi cette couleur rouge
Et ces reflets quand rien ne bouge,
Ces jeux d'ombres et de lumières
Sur ces canaux ces ponts de pierre.
Cette ville-là te plait-elle ?
Ma visite te satisfait-elle ?
Devant l'atelier du relieur,
T'ennivres-tu bien de l'odeur ?
Et ces masques, là, juste au coin,
Tous peints et repeints à la main,
Ne sont-ils pas assez dorés ?
Ne te font-ils donc pas rêver ?
Ah vraiment, je vois bien
Que tout cela ne suffit pas,
Qu'il faut aller plus loin.
Ecoute, je vais guider tes pas :
Pour trouver le coeur du mystère,
Connaitre l'amour de cette terre,
Va, va voir ce hameau là-bas,
Un peu seul, un peu loin,
Où pas un touriste ne va.
Il fera ton bonheur.
Des grands draps y claquent au vent,
Leur parfum sent meilleur
Que chez moi tout l'or et l'encens.
Ces gens ont fait de leur maison
Des cathédrales de couleur
Et les rues sentent le savon,
Le linge propre, quelle bonne odeur !
Les draps sont leurs vitraux,
les rues leur citadelle.
Mais que les ombres sont donc belles
A travers ces robes de dentelles !
Lumière au fond d'une ruelle,
Eclats des bouteilles sur l'eau,
Tu aimeras flâner près des canaux,
Prendre le pont et t'en aller,
Là-bas te promener.
Là-bas il y a tes rêves,
Ton jardin secret, nid d'amour,
Avec ses reflets d'eau tout autour
Qui chantent pour toi sur la grève.
Ta maison bleue n'est pas loin,
Je sais qu'un jour tu y seras bien.
Mais chut, contemplons ensemble,
Dans ma lumière qui tremble,
Le temps fort de ma magie,
La plus belle des fééries :
Il se fait tard,
Le soleil rouge
Descend vers l'eau
Du bras de mer
Et illumine le soir
D'ombres et de Lumières.
Plus rien ne bouge,
Pas même les canaux.
Dieu que c'est beau !
On dirait une prière.
C'est un rêve, c'est un songe.
Dans la lumière bleutée,
Les ombres s'allongent
Comme pour mieux voler
La bonne odeur du souper,
Et calmes, le coeur serein,
Endormons-nous jusqu'au matin.
Mais, regarde, là-bas, l'aube luit.
Nous avons rêvé toute la nuit.
Je t'ai montré le chemin.
Maintenant, ma magie s'éteint.
Vite, voici mon reflet
Dans la place inondée.
Garde bien mon secret
Et laisse les touristes te bousculer.
Marche dans l'eau, n'aie pas peur,
Qu'importe ! Tout est si beau
Quand on a dans le coeur
Le secret du bonheur."