Dans cette région de vallons et de coteaux assez proche de la frontière italienne, les pieds de vigne s'accrochent au sol pour y puiser la chaleur d'un soleil trop rarement généreux. Au milieu de l'une de ces vignes, une maison à l'abandon, désespérément fermée, attire le regard. Les gens du village voisin ont tous entendu parler de son dernier habitant, mais ne parlent qu'avec méfiance de celui qu'on avait surnommé l'italien.
Luigi avait quitté la Calabre et sa chaleur brûlante dans les années 50, attiré comme tant d'autres par l'eldorado français. Habitué au travail de la vigne, il était arrivé dans la région au début de l'été, rassuré par le paysage harmonieux et les rayons ardents du soleil. Les gens du village l'observèrent de loin, inquiets de son teint halé et du langage incompréhensible qu'il baraguinait. Un vigneron finit par l'embaucher et lui proposa en location cette maison au milieu des vignes. Luigi se mit au travail avec application, silencieux et solitaire. Il aimait travailler dans la vigne où le soleil d'été l'apaisait, tout en préparant lentement la maturation des grappes rassasiées de chaleur.
Puis vinrent les vendanges et taciturne au milieu des autres, il retrouva les gestes précis et efficaces dont il avait l'habitude. Cela suffisait pour l'instant à combler ce vide dans lequel l'avait plongé l'exil.
Une fois les vendanges terminées, il y eut beaucoup moins de travail. Alors, par les tièdes après-midi d'automne, il prit l'habitude de venir s'asseoir au-milieu de la vigne dont l'odeur et les couleurs lui rappelaient d'autres vignes.. Les teintes des feuillages viraient au rouge et à l'ocre en se jouant de l'ombre et de la lumière.
Et puis la vie se retira peu à peu, le froid commença insidieusement à s'installer. Il ne restait plus à Luigi que ses rêves de soleil et de chaleur humaine. Quelques vignerons le croisaient parfois, hébété, ou titubant sur le chemin, et puis la maison se refermait, froide et silencieuse. "Il ferait mieux de rentrer chez lui, il boit trop, il n'est pas fait pour vivre ici", disait-on à demi-mots au village.
L'hiver s'installa en plein avec son étau de froid . La maison des vignes restait maintenant désespérément fermée. Un matin, son patron le retrouva sans vie, recroquevillé au-milieu des ceps. "On l'avait bien dit que ça finirait mal", se murmurait-on en suivant l'enterrement juste du regard. Pourtant le patron n'osa pas toucher à la maison. Après tant d'années, ses murs vieillis par le temps et ses volets fermés continuent à témoigner de l'indifférence gênée des gens du pays.